Le sourire de Marie Kondo

On m’a proposé un soir de regarder l’émission de Marie Kondo sur Netflix. Toujours à la recherche de nouveaux freaks pour ma collection, la minuscule japonaise obsessionnelle compulsive avait tout pour susciter ma gourmandise, et je lançais l’émission, sincèrement curieux et normalement goguenard, comme il sied aux gens de goût à qui on ne la fait plus, n’est-ce pas.

 3 épisodes plus tard, ce qui devait arriver arriva : je me retrouvai avec la totalité de mes nippes en tas sur mon lit, avant d’en virer les 3/4 pour les offrir à Emmaus. Marie Kondo : 1, ironie distanciée : 0. Elle avait gagné, et avec son sourire inaltérable en toutes circonstances, je suis certain qu’elle sait qu’elle a gagné. Elle sait que ça marche, son truc. Lequel est diaboliquement simple, par ailleurs : voir en une fois toutes les choses inutiles qu’on accumule provoque un tel choc psychologique que ce choc déclenche le processus d’adhésion immédiat au reste de la méthode. Ok, je me rends, c’est le bordel chez moi, c’est le bordel dans ma vie, je vais agir pour redresser ça. Transformer le rangement de ses merdes et le remplissage de sacs poubelles en thérapie par l’action, osons le dire, c’est du génie. Et Marie Kondo s’en va, sort de la vie des gens qu’elle a transformé, et va ailleurs opérer de nouveaux miracles. Avec son sourire dont on dirait qu’il est sculpté sur elle et semble jamais n’en changer.

Quoique.

 Parce que si Marie Kondo sourit absolument tout le temps, en toutes circonstances et quels que soient ses interlocuteurs, elle ne sourit pas de la même façon à tout le monde. Il y a des nuances, fines, subtiles, des plissements plus ou moins prononcés, des haussements ou des abaissements de zygomatiques à peines perceptibles, mais réels. En face de cette famille où c’est la mère qui se fade la totalité des tâches ménagères, à la claire satisfaction du mari qui n’en fout pas une et des deux ados têtes à claques, le sourire s’est finement rétréci, les yeux se sont un rien davantage plissés. Aucune émotion visible n’est apparue, et pourtant, il y a eu un fugace changement, vite remplacé par d’efficaces injonctions à l’action. Pour finir par finement faire comprendre à la mère que les trois autres feignasses devaient aussi prendre leur part. Ce qu’ils ont finis par faire, happy end, famille heureuse, fin de la charge mentale et triomphe du sourire.

 N’empêche. Il y a du fer, derrière ce sourire.

 Mais d’où cela vient-il ? D’où sort cette volonté d’acier derrière ce sourire. Parce que de Marie Kondo, on ne sait…que ce qu’en dit Marie Kondo. Son obsession précoce pour le rangement, elle est mariée, a deux petites filles, et elle possède un t-shirt fluo moche dont c’est la seule chose dont elle refuse de se séparer. Sinon : quasi rien. On ne sait quasi rien d’elle. Faire une recherche sur son nom est frappant : ce sont les mêmes paragraphes biographiques partout, comme si tout le monde avait recopié le même communiqué de presse, ce qui est sans doute le cas. Est-ce qu’elle a un film préféré ? Quelle musique écoute t-elle si elle en écoute ? Les 30 livres qu’elle dit avoir chez elle, quels sont-ils ? Boit-elle de l’alcool ou pas ? Est-ce qu’elle s’entend bien avec ses parents, qui sont ses amis, etc. Une brume. Marie Kondo est apparue un jour avec un livre, maintenant elle a son show sur Netflix, et des gens laissent entrer chez eux quelqu’un dont ils ne connaissent effectivement rien, sinon qu’elle va les aider. Comment le savent-ils ? Parce que Marie Kondo leur a dit et on leur a dit que Marie Kondo l’a dit. Et Marie Kondo range les choses. C’est tout. À une époque twiterriste instagramesque où ne pas communiquer régulièrement sur le moindre détail de sa vie est une sorte de semi-mort, et donner son opinion sur absolument tout est devenu une obligation – celui qui écrit ses lignes ne déroge pas à cette maladie du siècle -, quelqu’un qui s’étale aussi peut en deviendrait une sorte de résistant actif à l’ordre des choses. Marie Kondo reste sur sa ligne : elle range. Et au final ça tombe bien : c’est tout ce qu’on lui demande. Et c’est tout ce qu’elle fera. En souriant.

 Qu’y a t-il derrière le sourire de Marie Kondo ? Peut-être rien. Peut-être une folie contrôlée et canalisée qu’elle a transformé en business. Peut-être aussi que je me pose des questions sur rien. Mais il n’empêche : elle a réussi, à distance, à me faire mettre mes boxers et mes chaussettes contre ma poitrine en me faisant me demander si ils me procuraient de la joie. Ça dit sans doute des choses sur moi. Mais comme je ne suis pas le seul et loin de là, ça dit aussi des choses sur nous. Lesquelles, ça…

Ou alors ça signifie qu’on est tellement paumés qu’on comble le vide par l’accumulation, ce qui nous rend encore plus paumés, et on attend fébrilement, que quelqu’un, enfin, nous trouve des solutions, et le plus vite possible. Et si on parle politique, car n’est-ce pas camarade tout est politique, ça ouvre bien des pistes, finalement. Au delà de Mari Kondo même, il y a finalement bien des choses, derrière ce sourire.

Le peuple qu’on voudrait, et celui qu’on a

Les gilets jaunes, c’est n’importe quoi, ils font n’importe quoi, et c’est normal. Parfait Objet Politique Non Identifié, il ne s’appuie et n’existe que grâce à une seule chose : le ras le bol, et par définition, le ras le bol on met dedans tout ce qu’on veut.  Mais toujours est-il qu’au delà du nawak, quelque chose doit interpeller l’honnête progressiste : la sociologie dudit mouvement. De ce point de vue, ventilons les catégories construites a posteriori : la “France périphérique”, les “classes moyennes”, le “peuple des ronds-points”, etc. La réalité sociale des GJ est pourtant diablement simple, et arrivé ici, je demanderai au plus sensibles d’entre vous de l’éloigner, puisque à la fin il va bien falloir employer les gros mots : les gilets jaunes, que ça vous plaise ou non, que ça nous plaise ou non, c’est le prolétariat. Ou comment comprendre les choses nouvelles (ou pas tellement nouvelles d’ailleurs) à la lumière des idées qui ont fait et continuent de faire leurs preuves.  Le prolétariat est de sortie, il a mis un truc ridicule sur le dos, il est vénère, il n’est pas organisé politiquement, il est chaud patate, et il veut…il ne sait pas très bien ce qu’il veut, pour le moment. Mais ça risque de changer vite, dans un sens, comme dans un autre.

Et voir toute la gauche en train de se gratter la tête devant le prolétariat dans la rue est une sorte d’ironie qui peut, certes, réjouir l’esthète cynique. Avant que le réaliste ne lui rappelle que la politique a horreur du vide, et quand les progressistes ne font pas le boulot, ce sont les autres qui se servent.

Mais qu’est-il donc, ce mystérieux peuple, au point qu’on ne sait décidément pas quoi en penser. Ces gens sont décidément trop ceci. Et pas assez cela. Oui alors ça j’aime bien mais ça j’aime pas. Et puis ils n’écoutent pas la bonne musique.Ils n’ont pas les bonnes idées. Et puis d’abord, on ne les a jamais vus dans les manifs retraites/sans papiers/Palestine/sécurité sociale/you name it, pendant qu’on se faisait chier dehors jamais ils étaient là hein, alors ils étaient où à ce moment hein ??

Ils étaient où ?

Oh, c’est très simple.

Ils étaient devant Hanouna et BFMTV, à pester contre les cheminots preneurs d’otages, en jeanpierrepernant avec enthousiasme dans leur pavillon moche décoré avec des objets moches, mais avec un petit carré de pelouse pour faire le barbeuc. À espérer que le train fou de la mondialisation ne leur roule pas dessus. Et là, ils se rendent compte que de toutes façons ils vont se faire jeter sous ses roues. Alors ils sortent et ils gueulent.

Sans doute, ils auraient dû le faire avant. Sans doute, leur intérêt éruptif pour la chose publique n’a pour base “que” le plus petit bout de la lorgnette. “Que” parce que quand ce petit bout en question c’est ta gueule et celle de tes proches, tu le trouve super important, ce petit bout. Et puis c’est des beaufs. Des ploucs. Des gens qui écoutent Sardou au premier degré, vous vous rendez compte ?? De toutes façons ce sont des gens qu’on ne fréquente pas, dans le doute rejetons les, et puis la détestation du prolo fédère tous les gens de goût : de Bernard Henry Lévy à Guillaume Meurice, les faux adversaires se réconcilient sur le large dos jaune, puisque cette populace ne saurait que faire le jeu de l’immonde bête, au lieu que de raisonnablement voter pour des gens très sympathique comme ce charmant Raphaël Glucksmann. On voit au passage bien des masques tomber, délicieux spectacle. Et par ailleurs, il me semble bel et bien que la catégorie de gens bien élevés qui agonisent les GJ recoupe assez exactement celle des partisans du Oui en 2005. Oui oui, regardez bien, ce sont les mêmes, avec les mêmes mots et les mêmes insultes. Frappant, non ?

Ceci dit, si on est de gauche, on peut décréter que c’est rien que des poujado-racistes d’abord, ça ne mange pas de pain et ça évite de faire bobo à la tête. On peut aussi, et avec raison, être révolté devant les incidents lamentables qui émaillent le mouvement. On peut aussi décider de mettre tout le monde dans le même énorme sac bien commode, pour enfin pouvoir s’écrouler avec soulagement dans le grand fauteuil moelleux de l’entre soi militant, aimablement entouré de gens comme soi. Sans être dérangé par ce…ces…enfin, ces GENS, merde à la fin.

Après tout, on a qu’à attendre qu’ils aient lu les bons livres. Qu’ils fassent les bonnes réunions, dans les bonnes orgas, en faisant les bonnes manifs. Après quelques années, si ils sont bien sages, on leur mettra un coup de tampon Appellation Gaucho-compatible Certifiée, et là, à ce moment, peut-être, on pourra les autoriser à se joindre à notre grande famille super chouette, pour partager notre loisir préféré entre tous : se bouffer la gueule.

On se demande franchement pourquoi ils hésitent.

Las. Le peuple qu’on a sous les yeux n’est pas spontanément progressiste. Ben oui. Il n’est pas anticapitaliste, pas déconstruit, pas woke, il ne sait pas qui est Frédéric Lordon et considére Poutou au mieux avec une sympathie amusée. Ces gens n’ont décidément pas grand chose pour eux. À part un truc.

Ces le prolétariat en colère. Et si mes souvenirs sont bons, normalement quand on est de gauche, ça doit, ça devrait, évoquer certaines choses, non ? Prolétariat. Colère. Manifestations. Mais si voyons, rappelez vous, ce n’était il n y a pas si longtemps tout de même.

On aimerait faire avec le peuple qu’on voudrait. On fait avec le peuple qu’on a.

Pour une fois qu’il se passe quelque chose, faire la fine bouche n’est pas que du snobisme : dans le contexte, c’est clairement irresponsable. Parce que les autres sont en embuscade et eux n’auront jamais ces charmants scrupules. À force de jouer les dégoûtés, on risque de se fader les dégoûtants.

Et puis je suis sûr qu’ils ne sont pas si méchants. Ketchup ou mayo sur la merguez ?

 

 

 

 

 

 

Making the monster

Ça s’est médiatiquement un peu calmé, ça repartira de plus belle : la construction médiatico-politique de Marion Maréchal Le Pen est désormais sur les rails. Lister les articles un peu critiques mais surtout fascinés serait trop fastidieux, on se contentera de constater que la presse tout supports confondus se pâme devant Marion, comme elle s’est pâmée devant Jean-Marie et ensuite Marine. Puisque c’est au même schéma que nous assistons, à la même représentation de la même pièce surjouée : fabriquer de l’opposant politique destiné à servir d’éternel épouvantail, afin que la populace vote bourgeois de toute façon.

Pourtant, au moment où nous parlons, Marion Maréchal n’est rien. Elle n’est pas dans un parti, n’a pas de formation autour d’elle, pas d’appareil et pas de militants, pas de soutiens déclarés, rien qu’une ridicule “école” politique où l’on apprendra à devenir un facho bien élevé et qui passe bien à la télé. MM est un “objet politique flottant” qui tourne à la périphérie de l’actualité, fait un petit tour, puis s’en va, manière de ne pas se faire oublier. Et d’attendre que la poussière de l’énième débandade électorale du FN maintenant RN retombe, alors que la planète faf est lourdement secouée en interne par de violents débats d’orientation. C’est que ça commence à peser sur les cervelles pleines d’eau peuplant l’extrême-droite, ces déculottées à répétition. Mettons nous à leur place : on leur promet depuis 40 ans que le pouvoir est à portée de main, on leur montre que leurs idées débordent largement leurs cercles et irriguent la société, on est à *ça* d’y arriver, et puis patatras, échec, deuxième tour, épouvantail, élection de l’autre, et on est reparti pour un tour. Donc ça gueule. Sans avoir pour le moment la moindre idée de comment se positionner et sur quelle stratégie, mais ça gueule. Très très fort d’ailleurs, tout amateur de fafologie peine en ce moment à suivre le feuilleton des empoignades politiques de ce camp, tout n’est que vindicte, insultes, alliances trahies et retournements spectaculaires, dans un tout petit marigot frelaté qui s’entre-accuse que moi je suis plus raciste que toi même pas vrai d’abord. C’est vrai que c’est distrayant. Néanmoins, derrière le sketch il y a la haine. Et l’exaspération palpable de militants qui veulent goûter à la brioche depuis trop longtemps promise. Il en sortira forcément quelque chose et que quelque chose sera forcément dangereux. En attendant, Marion Maréchal attend, gentiment.

Car si politiquement elle n’est encore rien, elle a pour elle d’avoir un nom : le nom le plus connu sans doute de la politique française. Osons le terme : ce n’est plus un nom, c’est une marque. La marque Le Pen est un produit d’appel qui rapporte énormément à beaucoup de monde depuis très longtemps. À l’entreprise-mère tout d’abord, évidemment, cette PME familiale parfaitement rodée devenue experte dans la vente de son propre nom, aux politiques de tous bords ensuite, puisque la marque Le Pen est Saveur de l’année perpétuelle au rayon “grand méchant loup”, et à la presse, puisque titrer n’importe quoi “Le Pen” est une assurance de ventes et de clics. Au final, tout le monde est très content que les Le Pen existent, au point que si ils n’existaient pas il aurait presque fallu les inventer. Mais en y réfléchissant, c’est d’ailleurs bel et bien ce qui s’est passé : on les a inventés. Sans l’adoubement politico-médiatique des années 80, jamais le FN ne serait sorti de son microcosme néo-fasciste, et c’est en le poussant en avant, en l’invitant à la télévision et à la radio, mené tambour battant par un Jean-Marie Le Pen exultant de tant d’attention et de temps d’écoute, qu’il a fini par s’imposer dans le paysage. Un marketing particulièrement agressif a propulsé la marque Le Pen en tête de gondole et a fini par en faire un produit de consommation pas comme un autre, loin s’en faut, mais auquel on est habitués. Trop habitués.

L’extrême-droite change. Elle évolue. Elle modifie son packaging, cherche de nouveaux secteurs de consommateurs. Les engueulades actuelle ne sont rien d’autres : à quels nouveaux clients peut-on s’adresser, au delà de la frange de croûtons racistes qui ne sont pas suffisants pour prendre le pouvoir ? C’est là où Marion Maréchal pourra je crois créer la surprise. En s’adressant à des secteurs de population jusque là peu ou mal racolés, et en premier lieu : les femmes. Les fafs ne vivent pas complètement dans une bulle, pas tous en tout cas, et les plus finaux ont compris que le séisme #MeToo/Balancetonporc pouvait leur servir. Politiquement, l’extrême-droite n’invente rien, à part le racisme et la violence elle n’a pas de corpus politique articulé. Elle est donc obligée de piller un peu partout, le hold-up le plus spectaculaire de ces dernières années étant le pauvre Antonio Gramsci. Récupérer un mouvement de société est donc pour eux quelque chose qui va de soi, et il suffira de dire “halte au harcèlement de rue PAR LES NOIRS/LES ARABES”, ou “non aux violences sexuelles DES MIGRANTS” pour repeindre le rafiot. Je prends pour ma part le pari que Marion Maréchal Le Pen finira par se proclamer “féministe de droite”, et que ça passera comme une lettre à la Poste. “Féministe” = pour les droits des femmes/ “De droite” = des femmes françaises contre les agressions sexuelles et le sexisme des pas comme nous. Plus c’est gros plus ça passe ? Il est à craindre que nous vivions dans l’époque où plus c’est énorme et outrageant plus ça passe. Regardez qui est Président des Etat-Unis, si vous voulez une idée.

Bien sûr que ça fera du scandale. Bien sûr que ça fera pousse les hauts cris : c’est fait pour. Marion Maréchal Le Pen sera le nouvel emballage du fascisme de son époque, portée par une nouvelle génération militante qui veut en découdre, sous le regard fascinée de la presse qui se régalera de la moindre de ses paroles, en espérant que cette fois encore “ça passe” et que la “démocratie” sera sauvée à la fin. Sans doute qu’en Hongrie et en Italie aussi, une certaine presse bourgeoise et ses propriétaires ont pensé ça. Mais à force de jouer au plus con avec de vrais cons, à la fin on perd.

 

Badaboum

D’après vous, quelle est la polémique de la semaine ?

Des agents de la DGSE achetés par les chinois ?

Ou la présence d’une femme dans le trailer d’un jeu vidéo ?

Bien sûr : c’est le second, parce que n’est-ce pas, il y a des priorités. Ou plutôt, l’époque a les priorités et les polémiques qu’elle mérite. Et comme il n y a pas de raison, moi aussi je m’engouffre dans la polémique superficielle, parce que c’est quand même plus rigolo que de parler de l’ingérence chinoise qui devient de plus en plus agressive un peu partout. N’entrons pas toutefois dans le débat si oui ou non des femmes ont combattu pendant la Seconde Guerre Mondiale, ce n’est même pas un débat. 1 million de femmes sont entrées en guerre rien qu’en Union Soviétique. 1 million. Sur ce sujet, je ne saurait trop recommander le très beau livre “La guerre n’a pas un visage de femme” de Svetlana Alexievitch et passons à l’argument le plus drôle et absurde des détracteurs : “cette approche ne serait pas réaliste”.

Là, j’ai ri. Vraiment, en faisant ah ah ah ah ah.

“Cette approche ne serait pas réaliste”.

Dans un jeu vidéo, des gens osent prétendre sans frémir qu’ils cherchent et mieux encore, TROUVENT, du “réalisme”.

Ici une confession : j’adore les jeux vidéos. Suite à un incident électrique, ma carte graphique a grillé, et je suis désormais un orphelin du gaming. Et croyez bien que ça me navre grandement, surtout que je n’ai même pas fini la campagne de Far Cry 5. Et si vous pensez qu’un grand garçon de bientôt 45 printemps n’a plus l’âge de jouer à des jeux vidéos, croyez bien que je vous répondrait : vous avez sans doute raison. Si vous pensez que cette activité est infantile et régressive, j’ajouterai même : c’est fort plausible. Et si vous ne comprenez pas que des adultes pourtant matures dans tous les autres domaines puissent rester des heures devant un écran à hurler comme possédés parce que putain mais c’est pas vrai que l’autre manche ne parvienne même pas à escalader la putain de pyramide dans Assassin’s Creed : ces questions sont légitimes. Il n y a que finalement très peu de raisons objectives de jouer à des jeux vidéos quand on est adulte, oui da en vérité. Et qu’on pourrait utiliser à profit tout ce temps et ces précieuses énergies à apprendre l’araméen pour lire la Bible dans le texte, ou se pencher avec délices sur la théorie des cordes ou chercher le vaccin du Sida et du cancer, en faisant de l’équitation et en jouant Chopin au clavecin, toutes choses que font assurément les détracteurs des JV, puisque je ne peux pas imaginer que les gens qui nous reprochent cette “immaturité” fassent autre chose de leurs loisirs. N’est-ce pas ? Ah ? Comment ça ils regardent Ardisson et passent 3 heures par jour à l’apéro ? Immense et terrible est ma déception. L’humanité ne m’aura donc offert que des motifs de chagrin.

Je vous ait dit que j’ai passé plus de 1000 heures sur Call of Duty ?

Le temps que j’ai passé à jouer, si j’avais étudié le marxisme à la place, maintenant je serais leader de la révolution mondiale.

Alors autant vous dire que le “réalisme”, je ne peux pas imaginer argument plus bidon.

Le réalisme dans Battelfield, comme la fois où j’ai mouché un hélicoptère en lui lançant un tank dessus. Ou quand j’ai fait un headshot au lance-missile à 4 km de distance. Ou quand j’ai sauté en parachute de mon avion, atterri sur le toit d’un building, tué tous les ennemis, pour ensuite resauter en parachute – les parachutes dans Battlefield c’est comme les caisses de munitions, on en a plein les poches tout le temps – pour réparer un tank avec un briquet, jusqu’à ce que je me fasse moucher par un sniper dans le building d’en face. Du coup au tour suivant, j’ai sauté sur son building pour lui mettre un chargeur entier de M4 dans la tête, et ensuite j’ai attendu à côté de son point de respawn pour le re-tuer. Parce que je suis rancunier des fois. Sans déconner.

En aucun cas on ne joue pour le réalisme. Soyons sérieux. On a loué, et à juste titre, la perfection technique d’un Battlefield 1 sur la Première Guerre mondiale, le rendu des visages et des expressions, l’ambiance immersive, l’énorme travail sur le son, etc. C’est superbe, Battlefield 1, mais en aucun cas ce n’est “réaliste”. Vous savez ce que ça serait un jeu de guerre “réaliste” ? Ça serait un jeu où on passerait des jours et des jours dans une tranchée humide à ne rien faire qu’attendre. Rien d’autre qu’attendre, rien à faire d’autre à part nettoyer son flingue, manger, et essayer de dormir. Ce serait oppressant et ennuyeux. No fun. Jusqu’à ce que sans prévenir arrive un ordre d’attaquer, où on saute hors de sa tranchée en hurlant, pour mourir 17 secondes après. Pas de respawn. Fin du jeu. Là oui, ça serait “réaliste”. Sans doute un peu frustrant. Mais pour le coup : vachement réaliste.

On voit bien que le débat n’est nullement là en vérité, et que ce qui agite les détracteurs, c’est qu’il y encore un coup de boutoir à leur entre-soi de consanguins misogynes. Coup de boutoir intéressé et marketé, puisque Electronic Arts l’éditeur du jeu ne s’est jamais signalé par sa politique de philanthropie : on met une meuf en avant parce que l’époque a changé et que ça donne une bonne image, mécanisme connu. Mais écoutez : est-ce que à un moment, dans l’actualité que nous avons, n’importe quoi qui puisse faire rager les cons n’est pas bon à prendre ? Allez regarder les commentaires du Figaro sur l’article annonçant le “oui” à l’avortement en Irlande : c’est du petit lait.

En attendant, si vous avez 300 euros en trop qui traînent, achetez moi une carte graphique. C’est que ça commence à me manquer, ces conneries.

 

 

Le chœur des Vierges

C’est la même chose à chaque fois, ce sera la même chose les prochaines fois et la plupart du temps par les mêmes : si vous n’êtes pas transis devant un bombardement décidé par les Etats-Unis et suivi par leurs vassaux, puisque à ce stade on ne peut pas sérieusement parler “d’alliés” mais bel et bien de sujétion, vous êtes un salaud, un collabo, une ordure à différents stades de nazisme. La guerre du Golfe de 1991, le Kosovo en 1999, la guerre d’Irak en 2003, maintenant la Syrie, ils sont toujours là, fidèles au poste, le petit doigt sur la couture du pantalon, ex-trotskystes courant les plateaux pour vendre leurs états d’âmes , philosophes de droite qui agitent très fort les bras au nom de “l’humanisme”, ce mot-valise qui signifie ce qu’on veut lui faire dire c’est-à-dire rien, universitaires n’ayant jamais tenu une arme de leur vie mais toujours excités dès qu’on parle de guerre quelque part, regardez les noms qui s’enthousiasment pour les événements de ces derniers jours, ce sont toujours les mêmes qui reviennent. Et qui reviendront, immuables et hiératiques, pour nous expliquer encore la différence entre les gentils bombardements (les leurs), et les méchants bombardements (ceux des autres).

Ici, il faut préciser d’où on parle, tant la confusion est immense sur le “dossier” syrien : l’auteur de ses lignes n’a aucune sympathie pour personne dans cette affaire. Bachar Al-Assad est une ordure et ceux qui le soutiennent des enflures à différents niveaux de corruption et de stupidité, les deux ne s’excluant nullement. Poutine est…Poutine, tel qu’on le connaît depuis qu’il est au pouvoir, à savoir qu’il n’en a rien à foutre de rien sinon des intérêts exclusifs de sa vision du monde d’autocrate, et pourtant l’antipathie que j’éprouve pour ces deux là ne me fera pas penser que les jihadistes qui combattent dans les ruines des villes syriennes sont au fond de braves gens pas bien méchants au fond, de toutes façons si tu pense le contraire tu es “islamophobe”. Décidément très pratique, cette accusation “d’islamophobie”, le strict équivalent de l’odieux soupçon d’antisémitisme si on se risque à critiquer la politique d’Israël. Le débat public en est de toutes façons réduit à ça, des gens avec des agendas plus ou moins discrets qui tentent de pousser leurs petits pions en exerçant chantage et terrorisme intellectuel sur leurs adversaires, lesquels ne se privent pas de faire de même puisque maintenant c’est la prime à celui qui gueule le plus fort dans les écrans.

Spéciale dédicace toutefois aux “démocrates” qui pensent, les chérubins, que lancer de tonitruants missiles sur des cibles vides peut préparer au départ de Bachar “parce que tu comprends, il faut bien faire quelque chose !”. Je comprends l’horreur qu’on éprouve devant les images, épouvantables, de civils broyés et gazés et de réfugiés au regard hanté fuyant des ruines. Cette horreur et ce dégoût je les partage, et si vous n’êtes pas d’accord avec ce que vous lisez maintenant, accordez au moins à l’auteur de disposer de la même empathie que vous. Pour autant, l’émotion même légitime ne doit pas servir de caution à la naïveté devant la réalité : Bachar Al-Assad ne sera pas déposé ou renversé, et il est douteux qu’il subisse le même sort que Saddam Hussein ou Mouhammar Kadhafi. La démocratie et les droits de l’Homme ne gagneront pas à la fin. Pas maintenant, en tout cas. Peut-être dans un futur indécis et incertain, inch Allah.

Ce qui se passe en Syrie et ce qu’on peut en penser est arrivé à un tel point d’incandescence que quoi qu’on dise, on va se fâcher avec des gens. Certes, il y a nombre de gens avec qui on est heureux d’être irrémédiablement fâché, c’est juste que dans ce genre d’imbroglio à entrées multiples, arrive un moment où on peut refuser de choisir un “camp” parce que tous les camps en présence sont des choix pourris. (À part les pauvres Kurdes, dont plus personne ne parle maintenant, encore victimes des errances de nos diplomaties). Le régime de Bachar Al- Assad : non, définitivement non. Soutenir Poutine, et puis quoi encore. L’axe Iran-Russie-Turquie, non. L’axe Trump-May-Macron, non plus. Les organisations armées d’inspiration salafistes, après ce qui s’est passé en France depuis 2015 ? Vous plaisantez, j’espère ? Et ne serait-ce qu’en France, où on voit se polariser deux mouvances politiques distinctes, d’un côté les pro-Assad hystériques, qui hululent que jamais le doux Bachar ne ferait de mal à son peuple et que toutes ces horreurs dont on l’accuse c’est que des menteries méchantes, auxquels répondent les anti-Assad tout aussi hystériques, prêts à s’allier à n’importe qui du moment que ça peut faire espérer la chute de Damas, et tant pis si ces vibrants démocrates font les yeux de Chimène à des gens qui haïssent la démocratie. Il y a même des gens qui pensent que suivre Trump peut être une bonne chose parce que la démocratie et blablabla mais écoutez, à ce stade de naïveté et si vous pensez vraiment que la France intervient dans ce coin par souci de l’humanité, avec Macron en défenseur de la veuve syrienne et de l’orphelin kurde, je ne peux rien pour vous. Ces bombardements ne sont que du vent, de l’agitation manière de montrer que regardez, on agit. Ils n’ont eu aucun effet concret. Ils étaient voulus pour n’avoir aucun effet concret. La réalité, c’est que le monde occidental a complètement perdu la main sur ce qui se joue là bas, mais que personne ne l’admettra, du moins en public. Alors il faut bien faire semblant de quelque chose pour calmer l’opinion.

Il ne faut donc rien faire ? Il n y a donc rien à faire ? Je ne dis pas ça, et ne le pense pas. Les organisations internationales existent, les moyens existent, les moyens de communiquer existent. En fait, tout existe pour une intervention de l’ONU par exemple, pour un couloir humanitaire, pour faire baisser la Russie d’un ton et que le concert des nations exige la démocratie en Syrie. Tout est faisable, tout existe dans les faits. Sauf, une chose : la volonté politique de vraiment faire. Cela, il n y en a nulle part. Parce que nos dirigeants sont d’une lâcheté sans bornes. C’est surtout ça qui est en train de couler les démocraties : la lâcheté. Comment croyez vous que les autocrates se maintiennent au pouvoir, sinon en en ayant rien à foutre ni de leurs opinions publiques, ni de l’opinion internationale ? Et dans cette lâcheté occidentale, personne n’est épargné, pas même l’auteur de ces lignes, qui a voté pour un candidat ouvertement de droite contre l’extrême-droite.

Alors je sais bien que si vous lisez ce billet, vous serez tenté peut-être de réagir, de me traiter de tous les noms, et c’est ok, pas de souci avec ça, c’est le jeu.

Mais regardez vous aussi dans le blanc des yeux, en même temps.

 

(Merci à Florent et Nicolas pour la relecture).

 

 

 

Ceci n’est pas un piano

Ça fait un an que j’ai commencé à apprendre à jouer du piano. Les circonstances de cette décision, de me mettre à apprendre un instrument sur le tard, la quarantaine passée, sont en elles-même assez amusantes : réveillé un matin avec le sentiment d’être passé sous un train, la tête bloquée par la maladie et le corps tremblant de fièvre, je m’étais traîné assez lamentablement chez mon medecin qui m’avait confirmé une grippe vicieuse avant de me renvoyer chez moi avec une ordonnance. Comme vous le savez, la grippe a ceci de doublement pénible que non seulement, on est malade, ce qui est déplaisant, mais qu’en plus elle incapacite à peu près totalement. On prend ses médicaments, on se couche, et on attends que ça passe sans pouvoir rien faire. Ni lire, ni regarder un film, ni communiquer avec autrui, rien que soi et le virus, et le mouchoir qu’on met temporairement sur son image de soi, trop occupé qu’on est à trembloter sous les couvertures en vagissant.

Ici, entre deux bouffées de fièvre, je me mis à penser à la grippe, au fait que cette sale maladie tue encore, puis à la grippe espagnole de 1918 avant de moitié me convaincre que j’allais claquer d’ici peu. Ou pas, la situation m’était incertaine, et on m’excusera d’une certaine confusion de la pensée à ce moment, gisant que j’étais dans des flaques de sueur aigre. Et me vînt à l’esprit cette question, finalement la seule vraie question à se poser : si je meurs de cette putain de grippe, si ça y est, c’est le moment, tchao la compagnie, qu’est-ce que je regretterais le plus ? Qu’est-ce que je n’aurais pas fait ou accompli qui me laisserait le plus de regret ?

Sans même avoir à chercher, l’évidence fait “pop” dans mon esprit : ne pas avoir appris à jouer du piano. C’était ça que je regretterais le plus.

Deux jours plus tard, pas guéri mais à peu près vaillant je choisissais l’instrument. Un très modeste Yamaha le plus basique, puisque mes ambitions se limitent à apprendre et pas à jouer Rachmaninov à Tokyo. Et je compris très vite deux choses : ça allait être long, cette affaire. Et que ça allait être pour le coup une partie de plaisir.

Les gammes, mes amis.

Les gammes ou répéter 5 notes, en boucle, pendant des heures et des heures. Parfois, on se risque à 8 notes, d’affilée, en boucle. Toujours en boucle. Et ensuite on recommence. Sisyphe n’était qu’un aimable plaisantin, et c’est aussi pourquoi il faut dans l’idéal s’y mettre le plus tôt possible. Je joue avec un casque sur les oreilles, manière d’éviter l’irruption de voisins armés de couteaux en mode Jack Torrance dans Shining. Devant l’évidence que ma bonne volonté et les tutos Youtube n’allaient pas suffire, je me résolu à prendre des cours. Je vais pour cela dans un centre culturel juste à côté de chez moi, où une gracieuse allemande a désormais la tâche accablante pour elle de m’instruire sur le solfège et la rythmique. Au début, nous avons travaillé avec un manuel pédagogique pour enfants de 4 à 8 ans, où de modestes partitions se glissaient entre des dessins de poules et de pandas. Je me souviens d’avoir été très fier le jour où j’ai réussi à jouer entièrement la page des dinosaures. À présent on ne plaisante plus et on est passé aux feuilles volantes remplies de lignes sur lesquelles semblent jetées des poignées de points noirs et blancs reliés entre eux par des signes cabalistiques. J’apprends une nouvelle langue en somme, et je l’apprends aussi avec mes mains. Un jour enfin, après beaucoup de gammes et de répétitions, je finis par jouer un morceau quasi entier. La professeure approuva de la tête avant de dire : “C’est pien Thierry, fous z’êtes drès dizipliné”.

Charles de Gaulle rentrant dans Paris délivrée devait être un peu plus fier de lui, mais à peine.

Et puis maintenant, je sais que le piano c’est comme les livres : ça ne sera pas un moment, ou une “période” : ça n’aura pas de fin, ça m’accompagnera tout le temps. C’est rassurant.

Il y a aussi une autre dimension, à cet apprentissage. Pour moi ce n’est pas qu’un loisir, c’est une voie de guérison. C’est dans doute pour cela que j’ai tant tardé à m’y mettre, j’avais peur. Peur de l’émotion de la musique, peur de l’émotion tout court. Je savais que j’allais ouvrir des portes que j’avais soigneusement fermées il y a de cela bien longtemps. Mais je devais les fermer à ce moment là, c’était même une nécessité vitale, mais que faire quand ensuite personne ne vous dit comment les rouvrir ?

Le piano aide à les rouvrir. Tout doucement, je me méfie. Je ne sais pas trop ce qu’il y a derrière. Et j’ose l’avouer, j’ai encore peur. Je m’apprivoise.

C’est très long à réparer, une enfance.

Parfois, après un exercice un peu long, je me retrouve sur mon banc, la respiration oppressée, le coeur qui bat en désordre et le cerveau comme vide, alors je comprends que les portes se sont ouvertes, encore un petit peu. Chaque fois un petit peu, mais ça y est, elles s’ouvrent, enfin.

Je crois que je peux être content de moi.

Je vais aller faire des gammes.

 

 

 

 

Americana

Trois films, sortis récemment, qui parlent sinon des mêmes choses du moins des mêmes gens : Logan lucky de Steven Soderbergh, I, Tonya de Craig Gillepsie, et 3 Billboards de Martin McDonagh, films américains sur l’Amérique, puisque ce pays excelle décidément à s’ausculter en permanence le nombril impérialiste. À ceci près que cette fois, il est question de celles et ceux qu’on avait plus vus depuis bien longtemps dans le cinéma US, et encore plus rarement sous cet oeil bienveillant : les losers blancs. Les white trash, les moches, les beaufs, les pas cools, les mal fringués et mal coiffés, montrés dans leur simple humanités, leurs douleurs, leurs rêves fracassés, et comment ils s’en sortent, ou ne s’en sortent pas. Que trois productions de grands studios avec pléthore de stars dans les castings sortent ainsi quasi la même année est d’autant plus surprenant que précédemment, la façon dont était montré ce monde n’était pas très flatteuse et c’est le moins que l’on puisse dire. De Delivrance aux Chiens de paille, sans compter les innombrables slashers mettant en scène des familles de rednecks dégénérés, genre à part entière où trône encore le mythique Massacre à la tronçonneuse, le prolétariat et ses lumpens qui vivent dans des parcs de caravanes ont quasi-été systématiquement présentés au mieux comme des blaireaux attardés et conservateurs, au pire comme des sadiques au delà de toute rédemption. Tout soudain, Hollywood se met à s’intéresser à cette population oubliée des écrans depuis sinon Les raisins de la colère mais presque.

Ce qui s’est passé pour ça est pourtant simple à comprendre. Il s’est passé Trump. Trump qui a été élu avec les voix de ces gens. Trump dont le traumatisme de l’élection a durablement secoué le cocotier du Parti démocrate qui ne s’en est toujours pas remis. Au point de s’auto-persuader d’une grotesque ingérence russe qui aurait fait basculer l’élection, plutôt que d’admettre la nullité de leur candidate, et surtout l’oubli, voire la négation complète, d’une population qui a force de ne jamais se sentir représentée a fini par voter pour le pire. Et pas seulement le pire pour eux, puisque personne ne vote en espérant que sa situation se dégrade, mais le pire pour les gens qui les méprisaient, dont cet Hollywood qui les a toujours copieusement méprisés. Les white trash ont envoyé un message fort, c’est le moins qu’on puisse dire. De là à voir dans ce nouvel intérêt pour les coeurs et âmes de l’Amérique profonde une tentative de reconquête, il y a un pas un peu audacieux que je me garderai de franchir. Mais au moins des tentatives de comprendre, ce qui est déjà un début. Il est simplement très dommage et regrettable, pour le moins, qu’il ait fallu l’élection d’un réactionnaire mugissant pour qu’on considère les prolos comme des êtres humains.

Des trois, I Tonya est mon préféré. Tonya Harding, ou l’acharnement du pire entourage qui soit à détruire une carrière et une vie. Acharnement maternel, avec ce portrait effrayant d’une mère à l’égoïsme tout-puissant qui brisera sa fille pour qu’elle accomplisse la vie qu’elle n’a pas eu. Acharnement des hommes autour de Tonya Harding, de son père qui l’abandonne sans se retourner à son mari aussi violent que limité. Acharnement de la lutte des classes jusque sur les patinoires, quand on dénie à une sportive brillante de pouvoir s’élever parce qu’elle n’a pas le bon accent, pas les bons costumes, n’est pas allée dans les bonnes écoles de danse, n’écoute pas la bonne musique. Bref, qu’elle ne vient pas du bon milieu. Et contre tous ces vents contraire, l’acharnement de Tonya qui serrera les dents jusqu’au bout en mettant toute sa rage dans l’entraînement et le patinage, pourtant victime finalement de la stupidité et des préjugés.

Le visage de Margot Robbie qui illustre ce billet, c’est finalement celui de l’Amérique : un visage ravagé dont les yeux hurlent de folie et de douleur, qui s’oblige à une grimace parce qu’il faut bien paraître, alors que même la façade s’est écroulée depuis bien longtemps.

 

Prolétaires des villes, prolétaires des champs

Ils sont jeunes, très jeunes même. Si ils sont scolarisés, ils se font chier, l’école ce n’est pas pour eux et d’ailleurs on le leur a fait bien comprendre depuis le début. Si ils sortent du circuit scolaire classique ils n’ont que l’apprentissage ou des filières moroses et sans avenir, dans des métiers voués à disparaître et dont tout le monde se fout.

Dans leur temps libre ils ne savent pas quoi faire d’eux et ils s’emmerdent. Dès qu’ils ont l’âge de mettre la main sur un engin à moteur, souvent même avant d’avoir l’âge, ils foncent sur l’asphalte en faisant le plus de boucan possible. Le bruit du moteur, ça prouve qu’on existe, qu’on est présent dans ce monde qui vous ignore. Et puis ensuite, il recommencent à se faire chier comme des rats. Du coup ils picolent raide et fument des trucs, légaux et illégaux en fonction des disponibilités, pour oublier l’écrasant ennui autour d’eux et en eux.

Le respect de la ségrégation de genres est absolu : les garçons d’un côté, les filles de l’autre. Et chez les garçons, personne ne chope, les filles ils ne savent pas leur parler. Une culture profondément machiste avec une vision parfaitement rétrograde de la femme ne leur a pas appris à parler aux filles, ni à parler d’eux. En général ils se casent assez vite avec une fille de leur périmètre immédiat pour fonder la même famille que leurs parents et les parents de leurs parents. Le respect voire la révérence de la tradition est solidement ancrée, et la méfiance envers tout ce qui sort de ces modèles. C’est pour ça qu’ils sont déjà très réactionnaires dès le plus jeune âge. Et ça ne s’arrangera pas avec le temps. En attendant, la frustration sexuelle est palpable et elle pèse lourd dans les jeunes cervelles.

Ils ne lisent pas, où juste quand le collège ou le lycée les y obligent. De toutes façons ça ne sert à rien et eux c’est pas des intellos, ça aussi on le leur a bien vissé dans le crâne dès le départ. Et les intellos c’est toujours un peu suspect, un peu pédé, un peu gonzesse quoi, et ces jeunes gens sont terriblement attachés à leur revendication de virilité. Malheur à celui qui se découvre un penchant trouble : il devra soigneusement le cacher. Les représailles pourraient être brutales.

Ce n’est pourtant pas qu’ils sont méchants. C’est juste que tout ce qui les entoure et tout ce qui les a façonnés les a rendus, disons, pas super ouverts d’esprit. L’ouverture d’esprit et la tolérance, ça vient avec le capital culturel et partant avec le niveau de revenus qui va avec. Marxisme 101. Mais eux ils s’en foutent de ça, ce sont des prolétaires déculturés et sans conscience d’eux mêmes, tout comme leurs pendants des cités dites sensibles, qui se font autant chier qu’eux. Sauf qu’en plus, tu vis à la campagne et Dieu que c’est l’angoisse vivre à la campagne quand on est jeune.

Car oui, je parle depuis le début du prolétariat rural, vous l’aviez évidemment compris.

Non ?

Ces sont les mêmes, c’est absolument frappant. Prolétaires des champs, prolétaires des villes, les mêmes jeunesses qui tournent en rond dans un monde qui inlassablement leur répète qu’ils ne sont rien et ne servent à rien. Il n y a aucune différence structurelle entre eux, et je dis bien structurelle, puisque certes, les goûts peuvent diverger – encore que désormais, tout le monde écoute Jul, qui est objectivement un de ces artistes qui a réalisé un trait d’union entre les mondes et ce n’était pas évident -, les cultures peuvent être différentes, mais par delà les traditions, les pays d’origine et même les couleurs de peaux, les habitus sont identiques.

Grands dieux, mais ne parlerait t-on pas ici de classes sociales ?? Alors que tout le monde sait que ce sont là choses aussi obsolètes que les pantalons à pattes d’eph et l’humour de Laurent Gerra, voyons. D’ailleurs il n y a plus de classes sociales et surtout plus aucune identité de classe, ce qui est pourtant ce qui rassemble le plus par delà les différences de formes. D’ailleurs, si on leur pose la question, les deux groupes, prolétaires des villes et prolétaires des champs, refuseront de se reconnaître comme prolos et nieront avoir quoique ce soit de semblable. On est pas des racailles ! On est pas des bouseux ! Ceci étant dit, le groupe rural ne souffre pas de racisme ni des discriminations qui l’accompagnent. Chez les urbains, c’est la double peine permanente, racisme social et racisme des origines.

Mais si les jeunes ruraux sont eux de souche bien de chez nous, je ne crois pas qu’existe un groupe social aussi absolument invisibilisé qu’eux dans l’espace médiatico-politique. Ils n’ont pas crée une culture de contestation, ils vivent dans des endroits difficilement accessibles, dans des coins improbables parfois et ils ne sont pas « sexy » pour une certaine gauche qui se sent obligée de révérer tout ce qui vient des « banlieues », jusqu’à l’imbécilité comme on l’a vu avec l’affaire Mehdi Meklat. Vous me copierez 100 fois « Ce n’est pas parce qu’on est objectivement opprimé qu’on est obligatoirement sympathique ». Relire Bourdieu, tout ça.

Les jeune travailleurs ruraux, tout le monde s’en fout, d’eux. S’en fout radicalement. Ils n’existent pas médiatiquement, culturellement, donc on s’en fout. Et ils en ont parfaitement conscience. Une conscience cruelle.

Alors ils font n’importe quoi. Ils boivent, ils conduisent trop vite. Ils sortent en boite. Les boites de la cambrousse, pas celles des périphéries urbaines qui se trouvent dans des zones qui ont des feux rouges et des lampadaires. Les Macumbas des bouseux, auxquelles on accède par de semi-routes de 2 mètres de largeur sans signalisations ni éclairage. Et qui sont, l’alcool et la vitesse aidant, des pièges mortels. L’existence d’une boite de nuit à la campagne, c’est la certitude qu’il y aura des accidents à sa sortie. Et chaque week-end, en France, dans les périphéries rurales, ce sera un carnage. Un ami dont le père était gendarme dans ces coins là me racontait le désespoir de cet officier pourtant chevronné et qui en avait vu beaucoup dans sa carrière, quand il devait arriver sur un lieu de crash à 2 heures du matin, pour voir des gosses de 18 ans incarcérés dans des débris fumants, en train d’agoniser le moteur sur les genoux. Et le WE d’après, ça recommence. Parce qu’il n y a rien d’autre dans le coin pour se dire qu’on essaie de vivre, un peu, quand même.

Elle est violente, la vie des jeunes ruraux. Violente, et oubliée.

Et c’est pour ça que j’ai écrit cet article. Ce n’est même pas que je les apprécie spécialement en plus, je garde un souvenir très vif de l’enfance où je me faisais traiter de pédé à la récré parce que je lisais des livres. Mais ils existent et personne ne parle jamais d’eux. Maintenant, ils ont quelques lignes.

 

La nouvelle “fragilité”

Je dois avoir une sorte de problème avec les “humoristes”. C’est simple, aucun ne me fait rire. Et je veux bien dire aucun. Ne parlons même pas d’un Dieudonné qui est depuis longtemps sorti de son rôle de comique pour devenir porte-parole de ses propres obsessions, mais tous les autres, aussi. Les Gad Elmaleh, Jamel, Lemoine, Sophia Aram, etc. Vous pouvez tous les citer, aucune ni aucun ne fait se relever mes zygomatiques d’un millimètre. Alors oui sans doute, je suis aussi amusant qu’un mormon sous Lysanxia et j’ai la capacité de dérision de Vin Diesel qui s’est cogné un orteil sur la table basse (Vin Diesel n’ayant en temps normal absolument aucune capacité d’auto dérision, ce qui le rend objectivement un peu con et explique le caractère ridicule de ses personnages, puisque Vin Diesel ne joue que Vin Diesel qui se prend hyper au sérieux, mais je digresse). Aucun ne me fait rire, voilà c’est comme ça et ça me permet de vous regarder de haut quand vous riez à ces bêtises et de lever un sourcil hautain devant tant de manque de goût, avant de replonger dans la lecture de John Keegan. Vous ne connaissez pas John Keegan ? Enfin bon, ça ne m’étonne pas, quand on rit devant Jamel Debouzze, faut pas non plus trop en demander, je suppose. Et oui, j’éprouve une certaine jouissance à ce snobisme, je le reconnait et l’assume. En fait, ce qui pourrait m’arriver de pire, c’est d’en trouver un drôle un jour, et je serais alors obligé de rabaisser ma morgue, brr, j’en ai des frissons. Fort heureusement, ça ne risque pas d’arriver de si tôt :

Chétifs ou mal aimés, ces nouveaux mâles défaillants s’inscrivent dans une longue tradition de corps masculins inadéquats face à des figures plus désirables socialement, de Buster Keaton à Woody Allen en passant, chez nous, par Gad Elmaleh et Jamel Debbouze à leurs débuts. La comédie offre ainsi un large éventail de contre-modèles marginalisés.

Moui. L’effet de bascule a donc joué, on est donc passé de Bigard qui pose ses grosses couilles ouarf ouarf à ceux qui se vantent de ne pas en avoir. C’est l’époque, en définitive. Ou plutôt c’est un simple partage du marché entre classes sociales, Gad Elmaleh/Bigard pour la France pavillonnaire et les nouveaux comiques fragiles pour la petite bourgeoisie à prétentions intellectuelles. Puisque en définitive, on rit aussi en fonction de son niveau de revenu et de l’accumulation de capital symbolique qui va avec, si vous me lisez vous êtes de gauche, je ne vais pas vous refaire le topo. Ce qui permet aussi au lectorat des Inrocks de se gausser de ces beaufs qui rient de choses terriblement enfin j’veux dire beaufs, tu vois, alors que eux s’esclaffent devant de fines saillies subversives. Quand je vous dis que tout ça n’est qu’un prétexte pour se sentir supérieur à d’autres. Cependant, et là redevenons sérieux, j’ai une sorte de réflexe de me méfier des personnes, des hommes en l’occurrence, qui mettent en avant leur sensibilité et leur fragilité. Don’t get me wrong : je trouve ça très bien, la sensibilité et que des hommes reconnaissent leurs failles. Vraiment très bien. J’encourage ça, sincèrement. Disons qu’il y a une tendance masculine en ce moment à la mettre très très en avant. Et trop pour être honnête.

D’expérience personnelle, les pires spécimens de raclures masculines que j’ai rencontré, et je parle bien de pourritures authentiques sans états d’âmes qui sont prêts à vous balancer sous un train sans sourciller si ça peut servir leurs intérêts, ont systématiquement été des crevettes à visage mou qui passaient leur temps à clamer haut et fort leur trop grande sensibilité. Quand la fragilité hautement revendiquée devient un prétexte pour ramollir les défenses d’en face et passer pour un gentil choupi inoffensif, pour mieux dissimuler sa nature profonde de petit Béria sadique et violent. Vous avez forcément rencontré ce genre de loulou, et si vous êtes une femme vous en avez même très certainement vu d’un peu trop près. Attention : je ne dis pas que ces nouveaux keumiques sont forcément des tarés pervers. On se calme. On nuance. Je dis juste qu’il faut se méfier avec raison de cette nouvelle revendication masculine et se demander ce qu’elle dissimule. Bienvenue dans l’ère du soupçon permanent, mais c’est ça aussi le 21ème siècle et il va falloir faire avec. Et pour ce qui est des amuseurs, rappelons ici que les modèles revendiqués sont Woody Allen, qui a prouvé depuis longtemps quel pitoyable être humain il était, et Louis CK, idole déchue de la nouvelle fragilité masculine, qui mettait en scène son awkwardness et riait de sa lose, ah ah ah comme il est lucide sur nos petits travers ah ah ah, ce qui ne l’empêchait nullement se joyeusement se masturber devant des femmes qui ne lui avaient rien demandé.

De là à me poser la question si, par hasard, cette nouvelle revendication de sensibilité ne serait pas un stratagème tordu de domination masculine, il n y a qu’un pas que je franchis avec allégresse. Quand les machos à l’ancienne ne sont plus que des cas sociaux invités à la télé pour qu’on se foute de leur gueule, et quand il est devenu obligatoire d’exprimer ses “sentiments” et de “partager ses émotions”, il faut bien s’adapter. Voir la montée de toute une génération d’hommes, plutôt jeunes, qui d’un seul coup se mettent à revendiquer leur hypersensibilité et à exiger de faire partager leurs émotions, c’est sans doute très bien, mais avec Mélanie Gourarier, auteure de “Alpha male”, on peut se demander si la fameuse “crise de la masculinité” n’est pas en réalité, ou en tout cas pour partie, une crise de la domination masculine. Et la revendication permanente de l’hypersensibilité et du refus de la virilité une stratégie de sortie de crise en mode “regardez on existe aimez nous”. Ce qui permet en plus d’assumer d’être physiquement couard et de fuir certaines responsabilités, ce qui est tout benef.

Alors oui, ok, laissons le bénéfice du doute à ceux qui disent qu’ils en ont marre de l’obligation de la virilité et qu’ils veulent un autre modèle masculin. Sans doute une large partie de ceux-ci sont sincères et de toute façon cette évolution est inévitable. N’oublions pas cependant que souvent aussi, derrière le grand sensible larmoyant peut se dissimuler le fourbe d’autant plus dangereux qu’il en veut au monde entier de dissimuler son agressivité derrière le masque social du moment. Vous savez quoi ? Je vais aller regarder une vid de Tiboinshape. Lui au moins il ne fais pas semblant d’être ce qu’il n’est pas. Je l’aime bien moi ce garçon.

 

 

Guillaume Meurice et la gauche des bisous

Se faire des amis est chez moi une sorte de passion. Je lutte pourtant, vous savez. Depuis longtemps une petite voix intérieure m’exhorte à la pondération, à la mesure, voire parfois à la politesse. Pauvre petite voix intérieure, qui s’échine depuis si longtemps. Mon petit Sisyphe d’intérieur. Parfois même je l’écoute vous savez. Pas longtemps. Mais je l’écoute. Et puis à un moment faut que ça sorte, c’est plus fort que moi, non, attendez, c’est nul cette expression, “c’est plus fort que moi”, ça ne veut rien dire en fait. La vérité c’est que j’ai envie de foutre le bordel, et que j’adore ça. J’adore tellement ça que c’est une honte que je ne soit pas payé pour le faire. C’est pour ça qu’à la fin, je vous demande, mais merde quoi, à quel niveau de fragilité gauchisante ultime êtes vous tombés pour adorer ce navet de Guillaume Meurice, à la fin?

J’ai essayé. J’ai pris sur moi, longtemps, je vous jure. Je voyais poper ses interventions sur mon Facebook régulièrement, puis la moitié de mes potes FB *adorent* Guillaume Meurice et le trouvent tellement *drôle* et *PERTINENT*. Et je lance la vidéo, moi garçon plein de bonne volonté et il ne m’a pas fallu une minute avant de penser : wow. C’est tellement nul. C’est même pas qu’il est dénué de talent le garçon, il en a, indubitablement. Il pourrait être drôle. Il pourrait être pertinent. Des fois il frôle l’insolence, dites donc. Et de retomber dans les clous de la gauche “gentille”. Tellement gentille. Parce que quand on est de gauche, on est aussi gentil que Guillaume Meurice. Il paraît en tout cas, la gauche c’est gentil et Guillaume Meurice il est de gauche donc gentil.

Lénine, reviens. Ils sont devenus mous.

Et je sais ce que vous allez dire. Que t’es mignon garçon mais c’est déjà pas mal. Et que dans un paysage audiovisuel où Eric Zemmour débat avec Michel Onfray sous l’oeil bovin d’Eric Brunet pendant qu’Elisabeth Lévy hurle que les islamogauchistes sont sous la table, et bien un Meurice ça porte une parole “progressiste” et que de toutes façons t’es jamais content t’es chiant, pff. Et oui, je suis chiant, parce que je suis exigeant, et que Guillaume Meurice comme gaucho de service j’ai envie de me rouler en boule dans un coin en faisant blblblblblbl avec le doigt sur la bouche, voilà. Parce que cette vision de la gauche, mais putain quoi. “Le racisme c’est mal, la guerre c’est méchant, la pauvreté c’est pas normal, et pis les gens ils sont cons d’abord”. Non, ce n’est pas autre chose. C’est mou, c’est plat, c’est consensuel, ça fait pas bobo à la tête, c’est bien dans les clous, bien lissé, bien propre, de gauche oui, ouhlala, mais jamais “trop” de gauche, surtout pas, ah non hein. Guillaume Meurice, c’est le gendre idéal des profs végétariens dépressifs, c’est la couverture de Télérama qui frétille devant “l’impertinence” *lève les yeux au ciel*, c’est l’humoriste de ceux qui auraient voulu que le PS redevienne de gauche et augmente le SMIC (Spoiler : ça n’arrivera jamais) mais sans parler de nationalisations ouhlalala t’es fou toi, c’est la mauvaise conscience de la semi-bourgeoisie semi-intellectuelle qui se sent perpétuellement coupable de tout (alors que les vrais salopards de droite qui eux foutent vraiment la merde, ils ne se sentent coupables d’absolument rien eux), c’est tellement dans le ton “gauche 2017” que je me demande si il n’a pas été fabriqué par un savant sadique dans une usine secrète en Sibérie avec toutes la liste de “comment fabriquer un *de gauche mais pas trop*”.

Et son succès est logique, du coup, complètement logique. Pour une gauche harassée de défaites et plombée par des décennies de propagande droitière, un Meurice et ça repart. Ou en tout cas ça réchauffe, voilà, c’est ça : il tient chaud. Il fait du bien. Il rassure. C’est un doudou en fait. Il est de gauche, il est gentil, il rassure. Il n’aime pas la violence oulalala non et il est capable de sortir des niaiseries creuses comme la caboche d’Eric Ciotti :

Donc merci de revenir à votre lutte commune pour un vivre ensemble un peu moins degueulasse et la défense des plus démunis face à la compétition crasse et truquée. Pour le reste, rappelons à toute fin utile que Dieu n’existe pas, mais que chacun est libre de croire aux licornes si ça lui chante. Certains pensent même que Nicolas Hulot est utile au sein du gouvernement. Chacun ses chimères.La mienne est peut-être de penser que les idées peuvent supplanter les égos. Utopie akbar !

Wow, mec. T’est tellement subversif. Sûr et certain que la bourgeoisie elle fait pipi culotte, là.

C’est bien, l’utopie, ça mange pas de pain. On sait pas quand ça arrivera, on sait même pas si ça arrivera un jour, ni comment, on s’en fout d’ailleurs, on est utopiste. On pourrait avoir une analyse matérialiste des rapports de forces, aussi. Je dis ça. Je dis rien. On pourrait même avoir des ennemis, très concrets, le fascisme, la bourgeoisie, analyser la dialectique des deux d’ailleurs, nourriture pour l’esprit, toussa. Et qui dit rapports de forces dit création de contre rapports de forces, et de chocs, et de stratégies, et de ruse, enfin, hey au fait LA LUTTE DES CLASSES, MOTHERFUCKER. Après oui, c’est moins choupi que il dit comment déjà ? Le vivre ensemble contre la compétition et pour l’utopie, putain je vais chialer, c’est beau comme un slogan de l’Unef. Mais sérieusement, mec. Et rappelons au passage qu’une vision politique de gauche sans prise en compte des rapports de forces existants, c’est comme les chemtrails, le sens esthétique chez Le Corbusier ou le charisme de Benoit Hamon : ça n’existe pas.

En même temps, je me dis que la gauche qui a Guillaume Meurice comme humoriste et Usul comme intellectuel organique, elle a aussi ce qu’elle mérite, hein.

C’était un communiqué de l’Internationale des Aigris Et Contents, et si vous n’êtes pas contents et bien allez vous faire, voilà.