On m’a proposé un soir de regarder l’émission de Marie Kondo sur Netflix. Toujours à la recherche de nouveaux freaks pour ma collection, la minuscule japonaise obsessionnelle compulsive avait tout pour susciter ma gourmandise, et je lançais l’émission, sincèrement curieux et normalement goguenard, comme il sied aux gens de goût à qui on ne la fait plus, n’est-ce pas.
3 épisodes plus tard, ce qui devait arriver arriva : je me retrouvai avec la totalité de mes nippes en tas sur mon lit, avant d’en virer les 3/4 pour les offrir à Emmaus. Marie Kondo : 1, ironie distanciée : 0. Elle avait gagné, et avec son sourire inaltérable en toutes circonstances, je suis certain qu’elle sait qu’elle a gagné. Elle sait que ça marche, son truc. Lequel est diaboliquement simple, par ailleurs : voir en une fois toutes les choses inutiles qu’on accumule provoque un tel choc psychologique que ce choc déclenche le processus d’adhésion immédiat au reste de la méthode. Ok, je me rends, c’est le bordel chez moi, c’est le bordel dans ma vie, je vais agir pour redresser ça. Transformer le rangement de ses merdes et le remplissage de sacs poubelles en thérapie par l’action, osons le dire, c’est du génie. Et Marie Kondo s’en va, sort de la vie des gens qu’elle a transformé, et va ailleurs opérer de nouveaux miracles. Avec son sourire dont on dirait qu’il est sculpté sur elle et semble jamais n’en changer.
Quoique.
Parce que si Marie Kondo sourit absolument tout le temps, en toutes circonstances et quels que soient ses interlocuteurs, elle ne sourit pas de la même façon à tout le monde. Il y a des nuances, fines, subtiles, des plissements plus ou moins prononcés, des haussements ou des abaissements de zygomatiques à peines perceptibles, mais réels. En face de cette famille où c’est la mère qui se fade la totalité des tâches ménagères, à la claire satisfaction du mari qui n’en fout pas une et des deux ados têtes à claques, le sourire s’est finement rétréci, les yeux se sont un rien davantage plissés. Aucune émotion visible n’est apparue, et pourtant, il y a eu un fugace changement, vite remplacé par d’efficaces injonctions à l’action. Pour finir par finement faire comprendre à la mère que les trois autres feignasses devaient aussi prendre leur part. Ce qu’ils ont finis par faire, happy end, famille heureuse, fin de la charge mentale et triomphe du sourire.
N’empêche. Il y a du fer, derrière ce sourire.
Mais d’où cela vient-il ? D’où sort cette volonté d’acier derrière ce sourire. Parce que de Marie Kondo, on ne sait…que ce qu’en dit Marie Kondo. Son obsession précoce pour le rangement, elle est mariée, a deux petites filles, et elle possède un t-shirt fluo moche dont c’est la seule chose dont elle refuse de se séparer. Sinon : quasi rien. On ne sait quasi rien d’elle. Faire une recherche sur son nom est frappant : ce sont les mêmes paragraphes biographiques partout, comme si tout le monde avait recopié le même communiqué de presse, ce qui est sans doute le cas. Est-ce qu’elle a un film préféré ? Quelle musique écoute t-elle si elle en écoute ? Les 30 livres qu’elle dit avoir chez elle, quels sont-ils ? Boit-elle de l’alcool ou pas ? Est-ce qu’elle s’entend bien avec ses parents, qui sont ses amis, etc. Une brume. Marie Kondo est apparue un jour avec un livre, maintenant elle a son show sur Netflix, et des gens laissent entrer chez eux quelqu’un dont ils ne connaissent effectivement rien, sinon qu’elle va les aider. Comment le savent-ils ? Parce que Marie Kondo leur a dit et on leur a dit que Marie Kondo l’a dit. Et Marie Kondo range les choses. C’est tout. À une époque twiterriste instagramesque où ne pas communiquer régulièrement sur le moindre détail de sa vie est une sorte de semi-mort, et donner son opinion sur absolument tout est devenu une obligation – celui qui écrit ses lignes ne déroge pas à cette maladie du siècle -, quelqu’un qui s’étale aussi peut en deviendrait une sorte de résistant actif à l’ordre des choses. Marie Kondo reste sur sa ligne : elle range. Et au final ça tombe bien : c’est tout ce qu’on lui demande. Et c’est tout ce qu’elle fera. En souriant.
Qu’y a t-il derrière le sourire de Marie Kondo ? Peut-être rien. Peut-être une folie contrôlée et canalisée qu’elle a transformé en business. Peut-être aussi que je me pose des questions sur rien. Mais il n’empêche : elle a réussi, à distance, à me faire mettre mes boxers et mes chaussettes contre ma poitrine en me faisant me demander si ils me procuraient de la joie. Ça dit sans doute des choses sur moi. Mais comme je ne suis pas le seul et loin de là, ça dit aussi des choses sur nous. Lesquelles, ça…
Ou alors ça signifie qu’on est tellement paumés qu’on comble le vide par l’accumulation, ce qui nous rend encore plus paumés, et on attend fébrilement, que quelqu’un, enfin, nous trouve des solutions, et le plus vite possible. Et si on parle politique, car n’est-ce pas camarade tout est politique, ça ouvre bien des pistes, finalement. Au delà de Mari Kondo même, il y a finalement bien des choses, derrière ce sourire.